• DEMAIN ...

     

    La moissonneuse avale la toison dorée, crache la paille dans une opaque nuée de poussière âcre.

    Au bout du champ, deux bennes attendent les grains blonds que viendra vomir en jets puissants la trémie.

    J’assiste, j’observe, je vis la moisson le cœur vibrant de souvenirs. C’est ici que j’attendais mon père.

    Aujourd’hui, je suis venue saluer Raymond, son ami. Il aurait pu être son fils, c’est lui qui a bénéficié de la transmission des terres et de la dure vie de cultivateur.

    Il arrête son monstre et me rejoint.

    Je remarque son visage crispé, sa silhouette fatiguée et amaigrie … nous échangeons quelques mots et il se livre :

    « Non, çà va pas, les blés sont couchés, c’est une mauvaise récolte.

    Si tu savais comme j’en ai marre, j’ai envie d’me foutre en l’air !

    -Et ton ouvrier ?

    Il est parti, c’est lui qui devait reprendre l’exploitation pour que je parte en retraite.

    -Et le petit jeune ?

    C’est mon apprenti, un élève du Lycée Agricole. Il vient d’encadrer une voiture, le tracteur est en

    réparation, mais heureusement y’a pas de blessés ! encore tout un tintouin avec les assurances …

    Je suis obligé de commander des bennes, on peut plus livrer à la coopérative agricole, mais avec deux

    bennes, j’pourrai pas finir ce soir … t’as vu les orages de grêle qu’on annonce pour le week-end ?

    Allez, j’y vais, je tourne pour les remplir, çà m’évitera de penser ! »


     

    Dans la chaleur asphyxiante de cette fin de journée, soudain,  un rideau de pluie s’abat du ciel de Toussaint. Les gouttes de plomb ricochent sur le chemin, claquent sur les bennes …

    J’entends la voix de ma mère, qui, recroquevillée dans la cuisine, maugréait sur les menaces d’anéantissement d’une année de travail.

    Je vois mon père au bout de la table, la tête entre ses mains, muet, le visage perlé de larmes de sueur.


     

    Demain …

    Raymond sera aux commandes de sa machine, les yeux abattus par une nouvelle nuit blanche …

    Il aura son casse-croûte dans une glacière, pour livrer au plus vite son gagne pain avant qu’il ne soit gâché …

    Demain, il se sera ressaisi. Il se projettera sur la préparation des labours et les nouveaux

    ensemencements pour la prochaine saison …

    Demain …

    -Dis Raymond, demain, tu seras là ?

    J’ai peur !


     

    Plume, 1/7/2012.

     

     

     

     

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  • Commentaires

    33
    eliane
    Vendredi 28 Septembre 2012 à 14:55
    eliane

    et oui ,c'était comme ça !!! et c'est encore comme ça !

    un orage et toute une année d'anéantie ! le matériel est de plus en plus performant

    mais la banque attend ses annuités !!! il faut palier à tout ça!!

    les jeunes s'en vont ...à moins d'être mordus par ce métier !

    tu m'as bouleversée !!

    bises Eliane

    32
    Nicoldelap
    Vendredi 28 Septembre 2012 à 14:55
    Nicoldelap

    Mon Dieu...... que ton récit est poignant............ j'en suis tt émue !!! c'est pourtant vrai....... Malgré les super belles moissonneuses........ il y a le ciel....... Il faut malheureusement compter avec lui....... 
    Quel texte magnifique........... Tu te décideras peut-être un jour à écire ? (où est-ce déjà fait ???? "la petite nouvelle" que je suis, ne sait pas encore tt sur toi!!). BRAVO la miss !!! tu SAIS captiver............... (& pas qu'un peu, hein ????)

    Bizzzz & excellent WE ma tit'Plum' (il a plu chez nous cette nuit ; quand nous sommes rentrés de notre concert nous avons eu qq'gouttes, mais rien de grave ; les pauvres gens sont en pleine moisson, aussi.....)  la nini

    31
    eliane
    Vendredi 28 Septembre 2012 à 14:55
    eliane

    un vrai raz-de-marée sur ce dur métier ,mal connu !

    merci ,Plume ..

    30
    eliane
    Vendredi 28 Septembre 2012 à 14:55
    eliane

    je viens de relire ton texte....je revois mon mari contrarié en attendant la 

    moiss-batt', comme on disait ! on attendait toute la journée l'entrepreneur

    en regardant le ciel avec angoisse,et puis ...soit il pleuvait en fin de journée ,soit ça se passait bien...et j'ai eu peur ,bien souvent,me demandant si on allait tenir le coup....Quand la "paye" arrivait....on commandait un nouvel outil et la petite robe convoitée attendait...des jrs meilleurs !!! je n'ai pas un tempérament envieux,ça m'a aidée à supporter bien des petites misères....

    mes filles sont sur une autre voie...pas toujours rose ,mais c'est ainsi !!

    merci ,chère Plume de ce beau reportage ...d'antan et ...d'aujourd'hui !

    pas d'orage pour nous....Que moissonne ton ami ? orge d'hiver ?ici ,personne ne bouge encore...

    29
    eliane
    Vendredi 28 Septembre 2012 à 14:55
    eliane

    j'ai vu les actualités régionales,avec des grêlons comme des balles de pétanque !

    qui va trinquer ?

    allez ,bonne nuit Plume, demain sera un autre jour !!!!!

    28
    Lundi 2 Juillet 2012 à 22:33
    Plume

    Tes mots m'apportent un énorme réconfort, je suis émue par ce partage sincère et vibrant .

    Merci Sabine, je t'embrasse, Plume .

    27
    Lundi 2 Juillet 2012 à 22:19
    Plume

    Merci Martine pour ton partage.

    Bisous

    Plume

    26
    Lundi 2 Juillet 2012 à 22:17
    Plume

    Oui, à quelques 20 km de chez moi ...

    Des dégâts considérables, sur les cultures céréalières et maraîchères, mais aussi sur les habitations, les voitures .

    Merci Eliane, bonne soirée et bisous.

    Plume.

    25
    Lundi 2 Juillet 2012 à 22:13
    Plume

    Je n'ai pas lu son livre, mais j'ai suivi ses reportages, édifiants et émouvants !

    Ces professions nobles ont besoin de reconnaissance et de revalorisation . L'indifférence est insupportable .

    Merci Carole de partager ce cri du coeur, bisous, Plume .

    24
    Lundi 2 Juillet 2012 à 22:07
    Plume

    Merci Loop,

    J'espère qu'il entendra les soutiens et qu'il aura la force de continuer et de transmettre ...

    Bisou, Plume

    23
    Lundi 2 Juillet 2012 à 22:03
    Plume

    Ta sensibilité à ces problèmes du monde paysan me touche Esclarmonde . C'est vrai qu'ils ne bénéficient pas toujours d'un regard respectueux et bienveillant, ce qui ajoute encore à leur détresse .

    Merci pour ton partage, bonne soirée et bisous.

    Plume

    22
    Lundi 2 Juillet 2012 à 21:55
    Plume

    Les efforts inlassables pour des revenus aléatoires sont une cause grandissante du désespoir conduisant à des  passages à l'acte dramatiques .

    Merci Pâquerette pour ton témoignage, nos sensibilités correspondent à un vécu douloureux.

    Bisous et douce soirée, Plume

    21
    Lundi 2 Juillet 2012 à 09:50
    Sabine

    Je me retrouve à cette table tout à coup, comme ...projetée par tes mots !

    J'observe le plus profond silence, que dire ? Juste .....prier !

    Je partage entièrement ta peur et te serre contre mon coeur : sabine.

    20
    Lundi 2 Juillet 2012 à 07:12
    Martine Eglantine

    J'ai relu ce texte très beau, émouvant. Bises

    19
    Lundi 2 Juillet 2012 à 01:04
    Cendrine

    Bonsoir Plume,

    Un texte poignant, qui suscite en moi beaucoup d'émotion...

    Les aléas climatiques touchent de plein fouet les ouvriers de la terre et les banques ne sont pas là pour les soutenir... Que de travail et de vicissitudes!

    Très beau texte, puissante inspiration!

    Bisous Plume et bon début de semaine.

    Cendrine

    18
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 23:42
    Carole

    Tu as saisi toute la grandeur et toute la misère des derniers "ruraux".  Ton récit m'a rappelé le livre de Depardon sur les paysans.
    Moi aussi je suis originaire de la campagne, je sais combien tout cela est dur, et qu'il est dur aussi de le vivre dans l'indifférence quasi générale.

     

    17
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 22:26
    Oh my Loop !

    Plume,

    grâce à toi, à ton blog, à nous,

    ton ami est moins seul,

    ce soir...

    Merci.

    Loop 

    16
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 21:56
    Esclarmonde

    J'ai beaucoup aimé cet instantané de la vie paysanne qui a toujours été dure et soumise aux aléas climatique. Leur conditions ne se sont pas amélioré ces dernières années avec les crédits et une administration tatillonne dont les employés ne connaissent rien à la vie rurale, dixit mon copain qui a des origines paysannes et à travaillé de nombreuses années dans ce secteur. De plus, une majorité de français sont coupés de la campagne et de la nature ce qui les rend inaptes à comprendre les problèmes des agriculteurs... Bisous chère Plume et merci d'avoir chois ce sujet

    15
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 21:27
    Paquerette

    Très beau témoignage, ce n'est pas rien de dépendre de la météo, le travail ne servant à rien quand elle ne correspond pas à une bonne récolte. J'ai connu cela avec mon père qui cultivait la vigne, je te dis pas les années de gel, peu de raisins et donc presque pas de vin, ni d'argent qui rentre dans la caisse. Fichus métiers que ceux qqui sont dépendant du mauvais temps.

    bisous et bonne soirée

    14
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 21:07
    Plume

    Et pourtant, il est important de sauver cette profession, la vie de tous dépend d'eux ....

    Bisous Eliane .

    13
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 20:59
    Plume

    Oui, mais quand les difficultés assaillent, l'amour du métier devient fragile ... mon père disait qu'il avait perdu son moteur ...

    Merci Marine, ton partage me fait plaisir.

    Bisous, Plume .

    12
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 18:06
    marine D

    Ce que tu écris me touche beaucoup, la vie d'un agriculteur n'est pas facile, et pourtant ils aiment leur métier

    Je te fais de gros bisous Plume

    11
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 17:20
    Plume

    Je venais d'être secouée, l'écriture a allégé mon coeur ...

    Merci Jackie, d'être venue partager .

    Bisous, Plume ;

    10
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 17:12
    Plume

    Merci Eliane, ce texte ravive chez toi de mauvais souvenirs ... mais j'avais besoin de vider mon coeur .

    Le matériel aux prix exhorbitants, les crédits, les banques frileuses qui prêtent à ceux qui ont de l'argent (il faut le dire !)les assurances, et les céréales dont les cours ne sont pas indexés sur le prix du pain ... une misère ...

    Bisous Eliane, pensez à vous maintenant,pour rattraper le temps des galères !

    Bisous, Plume ;

    9
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 17:04
    Plume

    J'ai écrit spontanément, et dans les larmes, ma souffrance  face à son désespoir ...

    Ton commentaire m'émeut, je n'étais pas certaine d'intéresser et de toucher le coeur de mes fidèles ...

    Merci pour ton partage sincère Nina ;

    Bisous, Plume .

    8
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 16:57
    Plume

    J'écris comme çà de temps en temps quand l'émotion me tord le ventre ... Je ne saurais m'astreindre à la rédaction d'un livre .

    Les métayers crèvent de faim et bossent comme des malades. C'est insupportable !

    Merci Nini d'avoir partagé ce texte avec une émotion palpable .

    Bisous

    Plume

    7
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 16:53
    Plume

    Elle a été une partie de ma vie, je n'oublie rien et ne lâche rien . Mon attachement à mes racines et aux luttes paysannes reste une priorité dans mes engagements .

    Merci Martine

    Bisous

    Plume

    6
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 16:49
    Plume

    Tes mots m'ont bouleversée Eliane, j'en ai des frissons .

    Oui, la "moiss-bat", et la paye qui permettait d'acheter du matériel mais jamais la petite robe fleurie ... çà trempe le caractère !

    Lorsque je suis entrée à l'Ecole Normale, la bourse annuelle (moyennant 10 ans d'engagement) a été une aubaine .

    C'est important de parler de la vie des petits cultivateurs qui sont métayers, tant de gens les voient nantis, propriétaires terriens pleins aux as comme les grans céréaliers ...

    Il moissonnait les orges d'hiver, mais j'ai parlé de blé . Les gros orages se sont abattus sur Dijon ... mais les orages ont tourné toute la nuit ...

    Gros bisous Eliane, profitez bien de votre retraite !

    Plume .

     

    5
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 16:44
    Jackie

    Un très beau métier, mais tellement difficile...

    Tu racontes cela à merveille avec beaucoup d'émotion.

    Merci Plume

    Bises

    4
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 16:31
    Plume

    C'est devenu un problème récurrent ! Je fais un copié-collé  systématique, car je suis quelquefois obligé de réécrire deux ou trois fois, c'est vraiment décourageant .

    fais bien Ctrl/C puis Ctrl/V pour ne pas voir s'envoler tes mots

    Bisou Evajoe

    Plume

    3
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 14:41
    Martine Eglantine

    Comme tu racontes bien la vie difficile des agriculteurs qui travaillent beaucoup sans parfois pouvoir en vivre. J'aime bien.

    2
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 12:08
    EvaJoe

    30 lignes viennent de disparaître par la seule volonté d'OB

    Je reviendrais dans l'après midi te remettre un mot que je vais écrire au brouillon avant pour ne pas me retrouver dans le même état...En colère!!

     

    Bisous et à plus tard, c'est fort fort!! Et émouvant.

     

    EvaJoe

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    1
    Dimanche 1er Juillet 2012 à 10:47
    Nina Padilha

    Un texte poignant, rudement bien écrit, retraçant brièvement tout le labeur des gens de la terre.
    Semailles, moissons, bon an, mal an...
    Au gré du temps, des pluies et du soleil, au gré du mildiou et de la grêle.
    Un travail harassant, incessant.
    Magistral.



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